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    La compassion de Notre Dame

     

     Les vrais artistes, qu'ils soient des célébrités de l'histoire de l'art ou les artisans anonymes de nos églises rurales, ont cette capacité extraordinaire de nous faire accéder à une réalité spirituelle qui dépasse de très loin la matière brute qu'ils ont travaillée, l'habileté technique dont ils ont fait preuve, et même le goût et l'esthétique, forcément limités et temporaires, de l'époque à laquelle ils vivaient. Avec eux, comme un signe de leur génie, s'abolissent le temps et l'espace, jusqu'à ce que se réalise une fois de plus la rencontre éternelle de l'humanité et de la divinité, qui est le propre du christianisme ! Au Dégagnazès, humble pèlerinage du diocèse de Cahors, la grande Pietà, oeuvre d'un sculpteur inconnu, réalise parfaitement ce miracle! Nous sommes au moment précis où Jésus est descendu de la Croix pour être rendu à Sa mère. La composition verticale, extrêmement dynamique, presque cinématographique, nous délivre une grande catéchèse sur Dieu et sur l'homme !

     

    1. La Croix

     Il y a d'abord la Croix, qui domine l'ensemble. Elle est vide désormais, car le sacrifice a été accompli. Jésus n’a pas fait semblant de mourir, avant de se dématérialiser pour regagner le ciel sans une égratignure, comme l’ont prétendu de nombreuses hérésies à toutes les époques. La Croix est un signe incontournable, définitif, car elle symbolise et réalise pour toujours la miséricorde de Dieu. C’est pour cela que nous devons aimer la Croix, l'embrasser, prier en sa présence, lui accorder la place d'honneur dans nos maisons, la porter fièrement autour de notre cou... Sur la Pietà du Dégagnazès, une grande draperie blanche s'enroule autour d'elle : c'est un détail qui nous parle déjà de la Résurrection, car au matin de Pâques, les linges épars, dans lesquels on avait enveloppé le corps du Christ, furent pour les Saintes femmes et les Apôtres le signe de Sa victoire sur la mort !

     

    2. Marie

     Il y a aussi la Vierge Marie. Elle a tout vu, tout vécu de la passion de Jésus. La voilà maintenant écrasée par la douleur et par le poids de son enfant mort qu'on a jeté sur ses genoux comme pour se débarrasser d'un fardeau gênant. Elle n'a jamais cessé d'être aux côtés de Lui, surtout dans Ses abaissements : au moment de Son Incarnation, par laquelle le Verbe « ne retint pas le rang qui l’égalait à Dieu » (Épître aux Philippiens, 2, 6); dans la précarité de la crèche et pendant la fuite en Égypte ; chaque fois que montait d'un cran la contestation autour de son fils ; et jusqu'à la catastrophe finale de Son exécution. Ce sont les épreuves qui ont façonné sa maternité divine et humaine. Ainsi au pied de la Croix, seule avec saint Jean que Jésus lui donne comme fils et qui représente le peuple fidèle, elle reçoit solennellement la multitude des hommes pour en devenir la mère. Et avec sa main droite levée et la gauche baissée, la Pietà de Dégagnazès exprime nettement que Marie fait le lien entre le monde de Dieu et celui des hommes, à la suite de son Fils, dont la Croix dressée en haut du Golgotha, est à jamais un trait d'union entre le ciel et la terre.

     

    2. Jésus

     Il y a enfin le corps de Jésus. Lui qui était aussi loin que possible du péché, de la violence et de la révolte contre Dieu en assume ici toutes les conséquences, en solidarité avec tous les hommes. Car tous les hommes sont pécheurs. Les plus atteints sont ceux qui se croient les plus justes, comme dans la parabole du pharisien et du publicain (Luc, 18, 9-14), des aveugles sur eux-mêmes qui disent à leur frère : “Laisse-moi enlever la paille qui est dans ton oeil” (cf. Luc, 6, 11) et qui le font avec si peu de délicatesse que l'autre en est blessé pour longtemps. Cela a éloigné beaucoup de personnes de l’Église en leur donnant un prétexte pour justifier leur désengagement. Dieu, Lui, ne déserte pas le champ de bataille ; Il n’abandonne pas les pécheurs, quelle que soit l’étendue de leur fautes. Quand nous désespérons de nous-mêmes, Lui continue de croire en nous : « Le pire orgueil, disait mère Térésa de Calcutta, c'est de croire que notre péché est plus grand que la miséricorde de Dieu ». Et cette miséricorde se réalise pleinement au moment où Jésus offre sa vie en sacrifice.

     

    5. Compassion de Marie, compassion de l’Église

     Marie est l'icône de l'intercession et de la tendresse. Le peuple de Dieu le sait bien, qui, depuis toujours, l'invoque sous des vocables aussi explicites que Notre-Dame-du-Bon-Secours, Notre-Dame-de-Pitié (qui est l'expression française correspondant au mot italien « Pietà », ). Il y en a beaucoup d'autres semblables qui rassemblent des foules de fidèles en de modestes ou célèbres sanctuaires. A Dégagnazes nous l’appelons: Notre-Dame-de-Compassion. « Compatir », « souffrir avec ». La compassion de Notre Dame n’apporte rien de plus à la passion de son Fils qui est complète et parfaite en elle-même mais dans l’union si étroite de la mère et du fils celui-ci lui accorde d’offrir avec lui son sacrifice. Plus encore puisque la Très Sainte Vierge Marie est l’image de l’Eglise c’est  elle, l’Eglise Sainte (quoique composée de pécheurs), qui jusqu’à la fin des temps continue d’offrir en union au Christ son unique sacrifice.  “Compassion” est un mot très fort et très beau qui hélas! s'est affadi jusqu'à devenir l’expression d'une convenance sociale bien superficielle, comme les « condoléances », qui signifient exactement la même chose, et la « sympathie », qui est l'exact correspondant grec du mot « compassion ». Jusqu'à ces dernières années, le mot « compassion », on se demande bien pourquoi, était exclusivement associé au bouddhisme, ou plutôt au bouddhisme relu à travers le prisme d’une certaine mode “bobo” occidentale. Or, la compassion appartient au christianisme. Elle est même le propre du Christ, car Celui-ci est le seul à mériter ce mot, car nul autre que Lui ne s'est associé aussi complètement à la souffrance de l'homme. Je le note comme un signe intéressant : le mot « compassion » vient d'être réintroduit dans la nouvelle traduction liturgique de la Bible.

     Le Christ, nous l'avons dit, a voulu que sa mère soit associée dès les commencements à Sa personne et à Son ministère. C'est le message du « Je vous salue, Marie ». Cette prière est un condensé de piété et de théologie mariales qui vaut bien des traités savants! Quand nous disons : « priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort », nous avouons notre condition pécheresse et notre condition mortelle qui en est la conséquence ; surtout nous exprimons notre confiance envers celle qui est présente à tous les instants décisifs de notre vie. On notera que, dans cette prière, l’Église, nous fait utiliser le « nous » et non pas le « je ». Comme pour nous faire prendre conscience de la dimension ecclésiale, familiale, communautaire de notre foi chrétienne.

     Et cette dimension nous engage les uns par rapport aux autres! C'est vrai que Dieu s adresse à nous personnellement, que nous sommes chacun le préféré de Dieu, mais Dieu nous veut ensemble et unis comme les membres d'une même famille. D'où ce devoir de solidarité qui est au coeur de notre foi! Et qui est également un mot splendide, que nous avons eu tort de laisser au vocabulaire de l'humanitaire profane. Qu'est-ce donc que la solidarité? Ce sont, plus que les mots, des actes. Et parfois, plus que des actes, la simple présence. Face à certaines souffrances et à la mort, il est parfois impossible de rien faire... Confrontés au scandale du mal et de la violence, l'intelligence et la raison sont prises en défaut... Mais qu'au moins nous ne nous dérobions pas! Même incapables de soulager celui qui souffre, nous pouvons déjà lui sourire ou lui tenir la main. Être simplement là, dans le silence, comme Marie au pied de la Croix. Pour ne pas garder pour nous seuls cette grâce que nous avons reçue de la Passion de Jésus, comme Marie qui ne garde pas pour elle les prières qu'on lui adresse mais qui les redonne toujours à Son Fils, dont elle est l' « humble servante ».

     

    M.C

     

     


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